Objectifs visés par l’alimentation des porcelets sous la mère

L’alimentation sous la mère, nommée également « alimentation à la dérobée » est une stratégie mise en pratique dans plusieurs maternités depuis déjà quelques années. L’objectif principal est de faciliter la transition des porcelets vers le sevrage. Le contact avec l’aliment solide initie le développement des enzymes nécessaires à la digestion des céréales. L’adaptation serait alors plus rapide en pouponnière et les problèmes de diarrhées réduits, évitant ainsi le dépérissement de certains porcelets et améliorant, du même coup, le poids des sevrés et les performances en post-sevrage.

Toutefois, cette pratique amène son lot de défis :
• Ingrédients spécialisés et hautement digestibles → aliments très coûteux
• Trémies spécifiques et apports réguliers pour assurer fraîcheur et appétence → temps
• Petites quantités utilisées, donc aliments en sacs → biosécurité

Dans la littérature, les résultats en termes de performances sont mitigés. Le principal facteur expliquant cette variabilité est la consommation réelle d’aliment par les porcelets.

Facteurs influençant la consommation de l’aliment par les porcelets

Âge au sevrage : La consommation de l’aliment est influencée par la maturité digestive et par les besoins nutritionnels du porcelet et est donc fortement influencée par l’âge au sevrage. Effectivement, la réponse est généralement positive pour les porcelets de plus de 35 jours et souvent absente ou faible pour les porcelets de moins de 21 jours. Entre les deux, l’impact sur les performances est variable.

Durée de distribution : Encore une fois, les études peinent à déterminer une durée idéale pendant laquelle l’aliment devrait être offert. Cependant, les consommations sont minimes dans les jours suivant la naissance et 60 à 80% de l’aliment est consommée dans la semaine précédant le sevrage, qu’il soit à 21 ou 28 jours.

Présentation et accès de l’aliment : Le type de trémie et son accès influencent la consommation d’aliment et le nombre de visites à la trémie. Une trémie ronde avec une réserve permet une alimentation à volonté, entraîne plus de porcelets « mangeurs » et augmente la consommation générale de l’aliment. Ce type de trémie limite le gaspillage, ce qui n’est pas à négliger avec un aliment dispendieux.

Composition de l’aliment : Précédemment, les études ont montré qu’un aliment complexe, c’est-à-dire un aliment riche en produits laitiers, en ingrédients hautement digestibles et en additifs spécifiques (enzyme, probiotique, acidifiant), permettait d’obtenir une plus grande proportion de porcelets « mangeurs ». Récemment, cet aspect a été remis en question. En effet, la consommation étant généralement faible, les bénéfices de fournir un aliment sous la mère seraient davantage d’exposer les porcelets à un aliment et de développer leur comportement exploratoire plutôt que de leur fournir un apport nutritionnel supplémentaire.

Résultats récents et essais réalisés à l’interne

Une thèse regroupant une série d’expériences chez des porcelets sevrés à 21 jours a été publiée par Sulabo en 2009. Les principales conclusions de ces études sont :
• Offrir un aliment n’a pas influencé le gain des porcelets sous la mère et le poids au sevrage.
• Les performances de la truie n’ont pas été améliorées même si l’aliment était offert pendant 18 jours.
• Les porcelets qui consomment réellement de l’aliment (environ 60% des porcelets) obtiennent une consommation et un gain supérieurs en pouponnière comparativement à ceux qui n’en mangent pas ou qui n’y ont pas accès.
• Un aliment sous la mère qui encourage les porcelets à consommer favorise une meilleure transition au sevrage et améliore les performances en post-sevrage.

De même, deux études externes ont été récemment conduites (Heo et al., 2018 et Colombus et al., 2021) chez des porcelets âgés de 28 jours. La première a montré qu’un aliment complexe favoriserait un meilleur gain sous la mère alors qu’un aliment plus simple (truie lactation) améliorait les performances en post-sevrage chez des porcelets sevrés à 28 jours. La seconde a conclu qu’un aliment simple ou complexe était équivalent pour des porcelets de 28 jours. Le gain des porcelets était supérieur en fin de lactation et en début de pouponnière, mais cette amélioration ne s’est pas maintenue jusqu’à la fin de la pouponnière.

À l’interne, nous avons également réalisé deux projets, chacun dans un réseau différent, afin d’évaluer l’intérêt d’un aliment sous la mère sur les performances des porcelets sevrés à 21 jours et de comparer le type d’aliment, soit un aliment spécifique ou un aliment truie lactation. Ce dernier étant de type « simple », mais a l’avantage d’être déjà disponible en vrac dans les maternités.

Dans les deux cas, l’aliment a été distribué 7 jours avant le sevrage et les performances des porcelets ont été suivies jusqu’en pouponnière.

Le tableau résume les principales conclusions.

 

Impact sur la TRUIE (poids, gras, consommation)

 

 

Impact sur la PORTÉE en maternité (gain et mortalité)

 

Impact sur les PORCELETS en pouponnière (gain et conversion)

Maternité 1 Aucun GMQ du porcelet AS > T Conversion 0-7 j AL > T et inverse pour 7-14 j

 

Aucune différence entre traitements à la fin (J38)

Maternité 2 Aucun Aucune différence GMQ 0-7 j AS > T

 

Différence numérique à la fin (J35) de +0,65 kg pour AS et AL vs T

(T = Témoin, AS = Aliment spécifique, AL = Aliment lactation)

Peu ou pas d’avantages ont été observés en maternité. En pouponnière, une amélioration du gain en début est notable, malheureusement elle ne s’est pas maintenue jusqu’à la fin de la pouponnière (avantage de 0 à 650g sur le poids de fin de pouponnière). Dans les deux cas, la différence entre un aliment porcelet (complexe) et truie (simple), n’est pas significative. Les deux s’équivalent, cependant la différence économique est importante. En effet, fournir 100 g d’aliment lactation par porcelet revient à 0,06 $ alors qu’il en coûte 0,20 $ pour un aliment complexe. Pour un sevrage à 28 jours, la quantité distribuée est de 300 g par porcelet, il faut donc multiplier par 3 les coûts d’alimentation. Pour un élevage qui sèvre ses porcelets à 21 jours, il en coûtera 1,59 $ ou 5,30 $ par truie par année selon le type d’aliment choisi.

Recommandations

• Offrir un aliment sous la mère aux porcelets sevrés à plus de 21 jours :
o Porcelets de moins de 21 jours : l’aliment sous la mère n’est pas recommandé;
o Pour un sevrage à 21 jours : l’aliment sous la mère est facultatif. Si la ferme y voit des bénéfices et a la main-d’oeuvre pour le faire, il peut être mis en application;
• Offrir l’aliment pas plus de 7 à 10 jours avant le sevrage;
• Viser une consommation totale d’environ 100 g par porcelet (sevrage à 21 j) et de 300 g par porcelet (sevrage à 28 j);
• Utiliser des trémies spécifiques et distribuer de petites quantités à la fois;
• Éviter le gaspillage;
• Un aliment de type lactation convient et est moins dispendieux qu’un plus complexe.

Ces recommandations se basent sur plusieurs études et dans un contexte d’élevage où les coûts et le temps investis doivent être rentabilisés par l’amélioration des performances, surtout avec les enjeux de disponibilité de main-d’œuvre vécus dans les élevages. À la lumière des études présentées, il semble que l’aliment sous la mère permet surtout de familiariser les porcelets à un aliment sec avant le sevrage pour faciliter leur transition vers la pouponnière d’où la recommandation d’utiliser un aliment simple.

Dans un proche avenir, la réglementation changera et il ne sera plus possible de donner du zinc en quantité élevée pour contrôler les diarrhées en post-sevrage comme c’est actuellement fait durant les 2 premières semaines. Dans ce cas, l’aliment sous la mère pourrait être une stratégie permettant de maintenir la santé intestinale du jeune porcelet. Ce sera à évaluer prochainement !

Bulletin technique Olymel